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Covid-19 : Comment briser les chaines de transmission de l’épidémie en Afrique ?

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La Gabonaise Love Leaticia Sounda, Docteure en Sociologie, spécialiste de la santé en Afrique, analyste des systèmes de santé et de gestion de crise sanitaire,  propose quelques pistes pour répondre à cette question qui préoccupe à un haut niveau les Etats dans le continent.

Ce que je vais vous exposer aujourd’hui a pour but d’améliorer la crise sanitaire du COVID-19 sur le continent. La bataille est gagnée mais pas la guerre !

A la date du 12 Mai 2020 le Centre africain de prévention et de lutte contre la maladie (Africa CDC) annonce un total de 88 172 cas de Covid-19 et 2 834 décès dans les 54 pays africains. Si on compare ces chiffres avec ceux du 21 Avril 2020, cela correspond en général à la période où certains pays commençaient soit à assouplir le confinement, soit à y réfléchir. Alors à cette période, il y avait 52 pays sur les 54 que compte le continent africain qui étaient concernés par la pandémie du coronavirus. On comptait un total de 23 505 cas de Covid-19 et 1158 décès.

Lorsque l’on compare les deux périodes on constate une augmentation importante du nombre de cas et nécessairement du nombre de décès. En 22 jours, il y a eu 64 667 nouveaux cas et 1 676 personnes décédées. Les pays où il y a eu un nombre important de nouveau cas sont : l’Afrique du Sud (16433), l’Egypte (12764), l’Algérie (7201), le Maroc (6952), le Nigéria (6175), le Ghana (5735) et le Cameroun (3529).

Une fois que l’on a compris que le nombre de cas en Afrique a considérablement augmenté, il est important d’identifier à présent, les moments clés de cette crise sanitaire du Coronavirus. Il y a eu une phase de début de pandémie (avec l’arrivée des premiers cas importés). Ensuite, il y a une phase de croissance de l’épidémie, c’est-à-dire celle que l’Afrique traverse en ce moment (avec une augmentation continue du nombre de cas). Après, il y aura une phase décroissante avec une diminution du nombre de cas une fois que le pic est atteint.

Début de l’épidémie

Du côté des dirigeants africains : Les gouvernements africains ont été réactifs dans la prise de décision pour lutter contre le Coronavirus. La majorité des pays ont décidé de fermer leurs frontières, ils ont mis en place des couvre-feux, déclarer l’état d’urgence, l’isolement des villes touchés par le Coronavirus.  Ils ont décidé de fermer les écoles, les lieux de spectacles et de rencontres, les lieux de cultes. Il y a eu également la limitation du nombre de personnes dans les transports en commun. Tout ceci, alors que leur pays ne comptait à peine qu’une dizaine de cas confirmés.

On se souvient qu’à la date du 24 mars 2020, Africa CDC indiquait que dans les régions de l’Afrique, la pandémie Covid-19 est évaluée comme suit : 1 988 cas de Covid-19 confirmés avec 58 décès, une létalité de 3% et 43 pays concernés. A la même période, les dirigeants africains sont montés au créneau. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, Macky Sall et Alassane Ouattara ont proclamé à la date du 23 mars l’état d’urgence dans chacun de leur pays. En Côte d’Ivoire à la date du 24 mars 2020, le pays comptait 25 cas et aucun décès. Du côté du Sénégal, les statistiques indiquent que le pays compte 79 cas confirmés de Coronavirus et aucun décès. Dans les autres pays, notamment au Gabon, au Burkina Faso, au Tchad en Mauritanie, au Mali, au Cameroun, en RDC, au Congo-Brazzaville et autres, c’est la période où plusieurs mesures importantes sont annoncées. Ces mesures vont justement de la limitation des déplacements à l’isolement des villes infectées et ce malgré les conséquences sur la vie économique, politique et sociale. Il y a une dynamique affirmée de limiter la propagation de la pandémie sur le continent à tout prix.

Du côté des populations : A cette période, il y avait une prise en compte de la situation (presque tout le monde était attentif aux informations et à l’évolution de la situation de façon générale). Sans même que le port du masque ne soit obligatoire, plusieurs initiatives dans ce sens ont vu le jour (au Maroc, Sénégal, Cameroun, Gabon…). On a observé une population  majoritairement à l’écoute et dans l’exécution des recommandations des dirigeants. Le slogan restez chez vous était lui aussi devenu viral en Afrique. Pendant ce temps, il y a eu certes des nouveaux cas mais la situation était sous contrôle de façon général.

Deuxième phase de l’épidémie

La deuxième phase de cette crise arrive avec le déconfinement. Pour plusieurs Etats ces déconfinements ont été précipités parce qu’ils craignaient la montée des tensions (Afrique du sud, Nigéria, Gabon et autres). Là aussi, les dirigeants ont pris des décisions à temps pour éviter des tensions supplémentaires générées par le confinement.

Le problème c’est que beaucoup d’africains ont vécu le déconfinement comme la fin de la pandémie. Beaucoup n’ont pas compris le message du déconfinement. Il a été adopté parce que les autorités ont réalisé que cette méthode n’est pas adaptée en Afrique, posant ainsi des problèmes de dilemme entre les besoins sanitaires et les besoins primaires. Le confinement total n’est pas adapté à l’Afrique. Il a permis de mettre tout de même en lumière les effets immédiats presque spontanés de l’arrêt de l’économie sur la survie des populations précaires.

Une fois déconfinée, on a observé une population qui a repris sa vie d’avant et parfois avec tous les excès possibles. Tout ceci pendant que le virus circule, la conséquence de cela, c’est l’augmentation du nombre de cas de façon importante.

Sur la durée, il y a aussi un relâchement qui s’est installé ; au lieu que le temps aide à s’habituer au port du masque, à la distanciation physique, au lavage des mains régulier ; avec le temps, on a plutôt la négligence de la situation, pendant ce temps le nombre de cas augmente. On porte le masque chacun à sa manière, sans se laver au préalable les mains. Chacun porte le masque comme il en a envie, or il y a une méthode pour éviter de se contaminer soi-même. J’ai vu des personnes soit le mettre sur le front. Soit on le met au niveau du menton, soit on le retire carrément pour parler !

L’excès de zèle, je sais que c’est une force que personne n’enlèvera à ce continent, celui d’avoir un bon morale. Surtout en situation de crise c’est important mais attention trop de zèle entraîne la distraction et donc l’augmentation des cas. Je prendrais par exemple l’argument qui dit que les jeunes sont moins affectés par le coronavirus. C’est une information qui a permis à certains jeunes de ne pas se sentir concernés par cette crise sanitaire. Or, il ne faut pas oublier le facteur comorbidité qui lui est un piège. On pense être intouchable jusqu’au moment où on vous annonce qu’en fait vous avez une comorbidité. Alors vaut mieux être trop prudent que pas assez.

Les fake news n’arrêtent pas de détourner l’attention des uns et des autres. Quand je pense qu’en Afrique en ce moment il y en a qui pensent que cette crise ce n’est qu’un buzz je vous réponds juste la chose suivante : le nombre de cas augmente. Ceux-là qui ont des doutes sur le nombre de cas dans leur pays, il faut savoir qu’au niveau du continent le nombre de cas augmente réellement.

En dernier c’est une remarque qui est faite à ceux-là qui veulent profiter de cette situation de crise sanitaire pour déstabiliser leurs Etats oubliant qu’ici celui qui doit dégager c’est le coronavirus.

Donc voilà, il faut continuer les mêmes efforts de début de crise pour reprendre le contrôle de la situation et à ce niveau tout le monde doit jouer son rôle. Comme au début, les dirigeants doivent adapter la gestion de la pandémie en fonction de l’évolution de la situation. Les populations doivent respecter les recommandations pour reprendre le contrôle de la situation. Ce d’autant plus que c’est l’affaire de tous. Si on ne le comprend pas cela peut se payer très cher. Une augmentation incontrôlable du nombre de cas favorisé par un changement de saison par exemple.